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rue — était indispensable : l’école ne me tenait pas par des liens inarrachables.

Un fait dominait ma mémoire, j’ignore par quel phénomène : on était allé chercher un médecin, il était venu, lui ! Il avait disparu au moment de ma résurrection. Mais on avait dû, un certain temps, le laisser seul dans la cantine où j’étais évanouie : j’avais la certitude qu’un baiser puissant, fougueux, m’avait été donné et — malgré ma syncope — mon être tout entier avait bu ce baiser ! La preuve était que j’en portais encore le feu en moi…

J’ai voyagé à l’aventure, tournant dans le quartier, d’abord la rue des Panoyaux, la rue des Couronnes, la rue des Maronites. Puis, par l’habitude du dimanche, le chemin des Buttes-Chaumont m’a requise. Là, j’ai voulu revenir chez moi, mais, dans mon trouble, j’ai continué à m’éloigner vers la Villette, le long d’une rue interminable, la rue Bolivar, je crois. C’est seulement au débouché du Canal que j’ai retrouvé ma direction par les boulevards extérieurs.

Mais que de temps, que de divagation, que de distance ! Par-ci, par-là, je m’arrêtais pour rattraper la notion du réel, je m’obligeais à nommer les choses environnantes : « Voyons… telle rue… bon ! une marchande de frites et de gras double… un marchand de chaussures d’occasion, de cinquante centimes à deux francs : il y a des souliers de bal. » Malgré moi, à chaque arrêt, des enfants de l’école s’interposaient dans ma pensée ; je les voyais avec les yeux de l’âme dans des attitudes ayant existé, j’évoquais des traits