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ans, dans leur faiblesse, tendre la gorge à l’avenir.

Mes enfants, je ne vous quitterai pas !

J’ai vu Irma Guépin, Louise Cloutet, Julia Kasen, Berthe Cadeau, tendre la gorge aux différents martyres des femelles pauvres : martyre de l’amour, martyre de la maternité, martyre de la débauche, martyre du travail impayé, Irma Guépin avec ses yeux bleus écarquillés, son nez court, sa blancheur et sa blondeur alsaciennes, souriant sans défense : Louise Cloutet avec sa physionomie de ménagère soucieuse d’économie, Julia Kasen d’une joliesse orientale, nacrée, Berthe Cadeau figure pointue de couturière héroïque et bornée.

J’ai vu l’un des Ducret, les yeux hagards, serrant son bec affamé pour toujours : j’ai vu Tricot avec sa tête de vieille femme du bureau de bienfaisance, ses cheveux en chicorée fanée, j’ai vu Richard affreux, simiesque et résigné, cherchant en vain à échanger leur laideur obligeante contre un peu de bienveillance : j’ai vu Léon Chéron et l’aînée des Leblanc promettre leur sang et leur substance à quelque maître insatiable ; et Louise Guittard, avec sa tête ovine, résignée aux coups, ressemblant au petit mort Gaston Fondant : et Bonvalot fermé, les tempes farouches, affrontant sa mauvaise destinée, les bras croisés ; et une gamine sans nom, — Marie tout court, — le visage dur, expérimenté, sinistre, et Pantois, l’un des vagabonds, les épaules aplaties, les yeux bas — les ailes coupées !

J’ai vu le sort de ces enfants rendu inévitable par l’école : ils attendaient ficelés, prêts à être livrés ;