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Voici des fillettes, vieilles à treize ans, usées littéralement par le soin de la marmaille. Celle-ci, c’est Joséphine Guépin qui vient chercher sa sœur et ses deux frères, je ne l’ai jamais rencontrée, sans un enfant au bras et un autre à sa jupe ; elle est finie, le dos rond, le buste déjeté. Elle reste un instant le bec ouvert avant de parler, le temps de gonfler un peu sa poitrine aplatie, et, les yeux ternes, elle me dit sans rancune, sincèrement :

— Maman s’en fiche d’avoir des enfants, c’est moi qui ai tout le mal.

Voici les trois enfants Chéron qui s’approchent. Trois qualités de produits : bonne, médiocre, mauvaise. L’aîné, Léon, six ans, a été élevé par sa mère, c’est un bon petit garçon, à intelligence droite, à volonté assez accentuée. Le second, quatre ans, a été mis en nourrice, il a souffert, il est moins intelligent, moins énergique. Le troisième a été confié à la crèche. Les enfants de la crèche se reconnaissent entre tous : ils sont plus vieux, plus décolorés, plus mécanisés ; ils portent en bêtise sournoise la marque de l’élevage administratif.

Juin. — Aujourd’hui, à déjeuner. Mme Paulin m’a annoncé un décès par accident : chez les Tricot, le dernier né a été étouffé dans la nuit.

— On n’y comprend rien, me dit-elle, faut que la mère l’ait pris machinalement en dormant, car le soir elle l’avait arrangé au mieux. N’est-ce pas ? on n’a ni la place, ni la literie suffisante, on est obligé