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Je suis demeurée ébahie devant l’air émerveillé, attendri de toutes les ménagères, y compris la principale intéressée. Du reste, celle-ci m’a saisie par le bras et m’a fourni des explications avec complaisance et fierté, pour m’éblouir en même temps que les autres commères :

— Figurez-vous que Louise a un lit ! un vrai lit ! du linge blanc ! des repas réguliers… Mme la directrice l’a visitée et lui a apporté une poupée.

C’est une joie qui emplit les cœurs et gagne tout le trottoir : le rassemblement augmente : décidément, d’avoir la jambe cassée, elle n’a jamais été à pareille fête ! Pauv’ gosse, quel bonheur pour elle ! Les yeux en sont humides.

Une pointe d’envie se discerne dans l’enchantement de certaines mamans et des regards se promènent sur des moutards, comme si l’on cherchait ce qu’on pourrait bien leur démolir.

J’ai béni le sort, comme les autres bonnes femmes. Et je voudrais bien rester toujours ainsi approbatrice : le corps mou, le cerveau mou.

Quand la gaieté s’y met, elle peut atteindre au formidable. Un souvenir du matin m’est revenu, comme j’allais me coucher. Assise au bord de mon lit, je me suis abattue, la tête dans l’oreiller et j’ai ri silencieusement, j’ai ri à mourir. (Vous sentez toute votre substance qui fond, s’écroule et s’en va : un évanouissement terminerait ce flux incoercible si vous ne vous leviez pour suivre les murs à tâtons…)