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Parfois, le matin, à six heures, rien que d’avoir traversé la rue déserte, pleine de clarté, de fraîcheur et recueillie dans le silence, — malgré çà et là, un vieux soulier, un morceau de corset, une loque, épaves du mouvement nocturne, — j’arrive au travail, tout offerte à la vie belle et généreuse. Mais je ne me sens pas uniquement dévouée aux bambins, mon attendrissement trop féminin et pas assez maternel, s’envole au delà de l’école. J’attrape alors mes torchons, je cherche mes cuivres à frotter, les taches à enlever aux parquets du préau, des classes, de l’escalier.

Ah ! quand la poésie vous lancine, quand votre substance voudrait s’éparpiller en amour et recevoir le baiser de la nature entière, du soleil, des arbres — le bon remède : frotter par terre, à genoux, brosser avec rage, les bras nus ! Va, rêve donc, sale bête !

Ah ! j’en ai étouffé des soupirs sous le bruit de la brosse de chiendent ! Ah ! le besoin de parler avec intelligence et tendresse, j’en ai flanqué de la potasse là-dessus !

Et il faut ajouter que depuis trop longtemps Mme Paulin me couve avec une affection patiente, avec une sorte de supplication, les yeux humides :

— Mon enfant, pourquoi te fais-tu du mal à toi-même ?

Assez ! assez ! je ne veux rien que l’anéantissement.

Enfin, après deux heures de suée, quand les enfants arrivent, je leur appartiens sans réserve ; apla-