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triées. Par exemple, je n’ai pas encore parlé de la façon dont les enfants se battent pour de bon, dans la rue, je n’ai pas dépeint non plus les scènes scandaleuses faites par les parents dans l’école même.

Pour excuser ma manie d’écrire, je me dis toujours « ces notes peuvent rendre service ». Oui, mais à la condition que leur sincérité ne fasse aucun doute. Or, pour trouver créance, il ne faut pas être trop vrai.

Les gens sont si heureux de pouvoir hausser les épaules et crier à l’exagération ! C’est un procédé si commode de ne pas croire aux histoires trop tristes et qui économise la pitié, si congrûment !

Donc, je resterai « dans la moyenne des faits ».

Pour être capable d’admettre les énormités, il faut une préparation progressive. Moi-même, à mes débuts à la Maternelle, avant « d’être de Ménilmontant », que de choses j’aurais obstinément rejetées comme impossibles !… Allons, allons, gens ordinaires, gens « d’un autre quartier », comment voulez-vous atteindre la même foi et la même compréhension que moi, qui fus témoin de l’incident suivant !

Un matin glacial, Marie Fadette, cinq ans, apparaît, tablier pas boutonné, souliers pas noués, très pâle. (On connaît les différentes pâleurs d’élèves ; pâleurs de faim, de froid, de phtisie, de mauvais coups reçus…) Marie Fadette est d’une lividité insolite. Et puis, elle n’a pas l’air d’arriver à l’école, elle a l’air d’aller ailleurs, de déménager avec son panier.