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enfants, aujourd’hui ? Croyez-vous que c’est soigné : on vient les chercher… Moi, à six ans, je gagnais ma vie.

— Pas possible ? quel travail pouviez-vous donc faire ?

Il a bien fallu que nous nous arrêtions sur le trottoir, devant chez moi ; on ne peut pas laisser une histoire en train. Le jeune Pluck, tout ratatiné par le froid, la tête penchée sur l’épaule, toussotait péniblement, à petites secousses exténuées.

— Ma mère était cardeuse de matelas et, à cette époque-là, on défaisait la laine à la main ; c’était mon ouvrage, dès six ans, quand on commence à devenir raisonnable… Dame, on en boulotte de la poussière ! et puis, n’est-ce ? pas les gens ne font guère carder les matelas qu’après un décès ; en v’là de la mauvaise poussière ! car il y a poussière et poussière, mais celle-là c’est rudement de la mauvaise. J’en ai-t-y attrapé des drôles de maladies ! dans le nez, des polypes, on aurait dit du corail qui me poussait ; et dans la gorge, des angines ! Les amygdales, on me les a retirées à huit ans, bien sûr, ça ne sert à rien… Ah ! puis, je ne sais plus tout ce qu’on m’a encore charcuté… Eh bien, au fait, je n’ai plus qu’un poumon… J’ai gagné ma vie, je ne dis rien. Tout le monde ne peut pas avoir deux poumons, non plus, pas vrai ? Mais c’est pour vous dire que les gosses d’aujourd’hui sont bien heureux… Le mien, le médecin prétend qu’il est un peu tuberculeux, laissez donc, si c’est ça, il ne sera pas soldat : autant de gagné.