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Soupçonne-t-on pourquoi ? Parce que c’est trop d’aria d’aménager le panier, c’est-à-dire d’y mettre un chiffon de serviette, un morceau de pain et une bouteille bouchée. Même des indigents qui ont la cantine gratuite n’en font pas profiter leurs enfants ! c’est trop d’aria.

Maintenant que je suis camarade avec beaucoup de mères, j’essaie de les raisonner, sans avoir l’air d’y toucher, dans nos jacasseries, en passant ; mais on ne remue pas la bêtise inerte, on ne remue pas la misère déchue à l’état de masse croupissante.

L’autre jour, je voyais Louise Guittard, piteuse, famélique, sur le banc, dans le préau, attendant qu’on vînt la chercher pour déjeuner. Enfin, à midi et demi, sa mère arrive. Il tombait de la neige ; la gamine n’avait pas de coiffure.

— Vous devriez la laisser déjeuner ici, dis-je ; regardez, là-bas, ce réfectoire.

Alors la mère, une femme avachie, aussi molle de cerveau que de corps :

— Ah ! qu’est-ce que vous voulez ? Le matin on n’en finit pas… s’il fallait encore préparer un panier !…

Au bout d’une demi-heure, Guittard est revenue glacée, les yeux cernés, le nez rouge dans sa face blême. Je ne sais quel ignoble repas elle avait fait, mais elle fleurait le roquefort et la mauvaise « vinasse ».

Tout l’après-midi, à la dernière table de la grande classe, elle m’a peinée : un hoquet affreux soulevait ses dérisoires épaules pointues, projetait