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qu’à eux… Dimanche, on les attend su’le tas d’sable du boulevard…

Aujourd’hui, avant le déjeuner, j’ai regardé dans le panier de Gabrielle Fumet. Il ne contenait rien, — selon l’habitude. Quelques autres paniers se promènent ainsi, toujours vides. J’ai interrogé là-dessus, d’un air détaché, aimable, la Souris qui est la tête d’un groupe auquel se rattache Gabrielle Fumet. J’ai appris, — d’un regard large, ironique à peine, qui a mesuré ma triste ignorance et qui lui a pardonné, — j’ai appris que l’on apporte son panier vide par convenance, par respect humain, pour ne pas choquer le monde. On ne montre pas son derrière dans la rue, ni dans l’école, n’est-ce pas ? Eh bien, on ne montre pas non plus sa débine.

Sur la question du pain, les enfants sont d’une sévérité tragique, il ne faut pas badiner avec cela.

Je me rappelle que la normalienne s’est fait « moucher » une fois ; elle n’y reviendra plus.

Elle surveillait le déjeuner.

Léonie Gras, à un bout de table, mangeait sans pain.

Mademoiselle, très affable, mais en même temps très déesse, demande d’un ton trop négligent :

— Tiens, toi, pourquoi n’as-tu pas de tartine ?

Léonie présente son masque extraordinairement creusé, expérimenté. Un temps : un regard rigide, pointu, dans les yeux de la normalienne. Puis une phrase à mots froids, détachés, qui font remuer la maigreur et le douloureux des joues :