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J’étais horriblement fatiguée : depuis cinq heures et demie, ce matin, je m’étais assise tout juste un quart d’heure pour déjeuner. Un lutteur, un fort de la halle, un hercule qui s’enorgueillit des fardeaux soulevés, ne se doute pas des reins héroïques qu’il faut avoir pour se baisser cinq cents fois devant des enfants… Et les seaux de charbon à trimballer !… Les vendeuses de magasin ont le droit de s’asseoir pendant les accalmies, les bonnes ont la chance d’avoir des légumes à éplucher ; le métier de femme de service est plus actif. Je ne suis pas assez « charpentée », estime Mme Paulin, — je n’ai pas assez travaillé dans ma jeunesse.

Ce soir aussi, j’avais mon spleen : il avait fait un après-midi splendide, avec un soleil de fiançailles et des souffles d’air moite ensorcelants, et l’école sentait la prison, le local étranger à la vie… et mes mains couturées, corrodées de crasse étaient si laides sur mon tablier taché… Et je regrettais de tant maigrir ; le dégraissement ne m’embellit pas, fichtre ! Je n’ai plus besoin de me composer une coiffure vieillissante : la mère Guittard, qui a bien quarante-cinq ans, m’a dit en montrant Louise :

— Son père a encore mangé la moitié de sa paie ! Ça ne vous étonne pas ? À nos âges on est fixé sur la rosserie des hommes, pas vrai ?

Toutes sortes de circonstances contribuaient à me mal disposer.

Mme Paulin m’avait agacée au suprême degré :

— Dites donc. Rose, ces dames ont bien raison : il se néglige ! il ne met plus de gants.