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Je m’habitue aux déboires. Dans les premiers temps, le soir, au milieu du préau, sous le gaz, assise sur un banc trop bas en face de trois ou quatre bambins, je conversais naïve et ignorante, je tâchais d’accorder ma voix à la douceur et à la pureté enfantines, je modulais une intonation chantante, jolie, délicate :

— Dis donc, Léonie, maman va venir, tu vas rentrer à la maison, il y a une table ronde, hein, je suis sûre ? Et la soupe est sur le fourneau…

À mesure que je parlais, Léonie Gras, une roussotte frisée comme un caniche, faisait : non, non, de la tête, souriant avec des yeux malins, telle une enfant que l’on taquine par une offre dérisoire : « Donne-moi tes dragées, je te donnerai une poignée de cailloux ». Elle me souffla sur le nez comme sur une bougie, par dédain, puis s’expliqua :

— Non ! on mange chez l’troquet avec maman.

Elle ponctua cette déclaration d’un avancement de menton : « Voilà, ça t’ennuie, tu es jalouse ! »

— Ah ! fis-je interloquée, mais après, tu vas faire dodo ?

— Non, maman boit avec des gens et moi je liche les verres.

Et encore ce coup de menton qui signifie en langage de Ménilmontant : « Voilà, ma vieille, ça te la coupe ! »

Ensuite ce fut Bonvalot, blafard, les pommettes trouant la peau, le cou détiré. Il était en retenue.

— Tu aimes bien ta mère ?