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donner un aperçu, si disproportionné soit-il, de cette immensité : l’amour maternel. Et ce sentiment suprême existe dans sa pureté chez les femmes les plus déchues… on dirait parfois qu’il est en moi, comme une perversion.

Dimanche dernier, au retour de ma promenade habituelle aux Buttes-Chaumont, rue des Pyrénées, j’ai rencontré Louis Clairon qui tenait, par le jupon, sa mère, une phtisique de mise indigente. Rue des Pyrénées, il passe du beau monde. Louis a croisé un regard sans affinité avec un jeune monsieur de sept à huit ans (pardessus, gants, chapeau melon), accompagné de parents à vêtements cossus ; il a alors reporté sur sa mère ses yeux de loup, aussitôt contents, rassurés, vaillants. J’ai bien vu : après ce jupon lamentable, mal pendu, après ce corps étique, ce dos rond, cette face terreuse, il recueillait la totale sécurité, il trouvait plus de protection que dans tout le reste de l’univers, que dans les formes les plus opulentes, les plus belles, les plus solides. Et mentalement j’ai approuvé : Tu as bien raison de te sentir riche, comblé ; tant qu’il restera un tressaillement dans ce corps, fût-il aux griffes de la mort, ce tressaillement sera pour te sustenter et pour te défendre.

Dire que je suis condamnée au célibat ! Mes fibres stériles frémissent ! Quelle terrifiante compréhension est en moi : la puissance maternelle n’a pas de limites, c’est la bonté à l’infini, c’est l’audace enragée capable de briser les lois humaines et de s’insurger contre la nature même. Tiens ! Louis, si