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que de marcher en tête du cortège. Quelle joie hurlante ! Vidal bossu, déjeté, sans équilibre sur de pauvres jambes tordues, se déplaçant avec un sautèlement, un battement de membres, une oblicité tombante d’oiseau blessé ou de crapaud mutilé, Vidal fait le pochard au naturel !

La folie gagne.

La Souris, chargée de son précieux fardeau, se décide : avec son air de femme sérieuse voulant que son enfant ait sa part comme les autres, elle crie : « Attendez-moi donc ! et mon poussin ! il en est aussi ! »

Ah ! c’est bon d’avoir froid ! Mais cette femme hurlante n’en finira donc pas ?… Tiens, je ris maintenant.

Un jeudi matin, j’ai reconduit le plus jeune frère de Léon Ducret qui avait été pris de vertige en arrivant à l’école. Dans la cour de sa maison, la concierge avait voulu tuer un lapin en lui crevant simplement un œil et en le suspendant par une patte la tête en bas. La marmaille du lieu faisait cercle, près de la pompe. Le lapin gigotait depuis longtemps sans doute, car toute une pluie de sang était visible au mur et sur les pavés. Comme je passais, la concierge en colère gourmandait :

— Ah çà ! tu n’en finiras donc pas de mourir, toi, ce matin ?

Elle employait le ton sévère des parents qui ne tolèrent pas qu’on prenne de mauvaises habitudes.

Je ris. Il me semble que je n’ai plus de jambes… Je crois bien que l’enseignement moral se fiche du