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la maternelle

bouleverser mes idées, puis leur imposer un cours nouveau, torrentiel.

Ah çà ! est-ce que les bienfaits de l’école ne seraient que théoriques et apparents ? est-ce que l’enseignement commettrait cette erreur prodigieuse de ne pas tenir compte de la réalité, de se baser sur le convenu, sans souci du vrai ?

C’était après quatre heures, je revenais de conduire le rang au coin de la rue, avec Mme Galant. La mère Doré demandait sa fille, une brunette louchante, d’une joliesse maladive et elle parlait à la directrice par dessus la barrière du préau. Je me mis à transporter près de la sortie les paniers restés entre le poêle et le lavabo.

Et voilà que j’entends cet énoncé d’une conviction sévère :

— Punissez-la, madame la directrice, car elle est vicieuse et je ne veux pas de ça… Mademoiselle, à cinq ans, se connaît déjà et ne demande qu’à se montrer… Je ne veux pas de ce vice-là, maintenant… quand elle aura l’âge, elle aura l’âge…

Et la femme, en scandant cette dernière phrase, arborait les signes hautains d’une expérience absolue, indiquant que le vice était de rigueur, promettant de l’admettre quand il faudrait et promettant que ce serait très prochainement.

J’écarquillai les yeux : la mère Doré est grande, robuste, la poitrine canonnante, les bras nus ; brune avec un peigne de cuivre dans les cheveux étagés impérialement, elle a une mine de voracité charnelle fixée par l’habitude, une laideur de Junon