Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/131

Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
la maternelle

d’autrefois. L’instinct de mignardise apparaît vite chez cette gentille Irma proprette et gracieuse ; elle se prête à mon jeu comme à une leçon de « bon goût ».

Ce soir, mon chiffonnage de ruban n’allait pas comme je voulais, rien de léger, de mousseux… Et soudain, j’ai vu mes ongles usés, mes doigts imprégnés d’une crasse indélébile par le nettoyage du poêle, par le balayage, le lavage. J’ai baisé Irma Guépin au front et j’ai laissé son ruban neuf, qui était d’une fraîcheur trop délicate pour les mains rugueuses d’une femme de service.

Que noterais-je encore ?

À l’école où j’ai fait mes études, les grandes élèves choisissaient toutes une petite qui était « leur fille », c’est-à-dire leur protégée et leur poupée. J’ai pris Irma Guépin comme fille, sans y penser, par répétition d’actes anciens. On s’est même aperçu de cette préférence avant que j’en eusse pleine conscience moi-même. La directrice m’a secouée une fois.

— Surveillez donc votre Irma, là-bas.

Quand je l’ai eu baisée au front, Irma est restée debout devant moi et, tout à coup, son rire a modulé une sonorité particulière :

— Mon ruban mauve, maman me l’a acheté avec une pièce de vingt sous que M. Libois m’a donnée.

— Bien, bien.

— Il attendait le tramway, il m’a parlé, M. Libois. Il m’a demandé qui j’aimais le mieux à l’école.