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la maternelle

pleurnicher. Je m’assieds en face d’eux et j’essaie de stimuler la conversation :

— Où demeures-tu, toi ? Et toi ? et ton papa qu’est-ce qu’il fait ? Es-tu allé sur les chevaux de bois, à la fête ?

Une remarque : les enfants, si bavards entre eux, ont peu de mots au service des grandes personnes semblablement les paysans ne savent quoi dire aux gens de la ville ; mais n’inférez pas, de là, qu’ils soient taciturnes.

Je persiste à discourir pour dissiper le noir qui me pénètre ; je veux me réfugier dans la douceur égayante des enfants. Voici Kliner penché comme un pantin disloqué ; il montre, à la gorge, une profonde cicatrice ; sa voix difficile scie lentement des sons en bois.

— Qu’est-ce que tu as donc eu au cou ?

— J’ai eu un coup de couteau.

— Où est-ce arrivé ? Chez toi ?

— Oui, chez nous.

— Ce n’est pas ton papa, pour sûr ?

— J’en ai pas.

— Qui ça alors ?

— Eh bin, pardié, un homme qui venait dormir.

— Qu’est-ce qu’elle a dit, ta maman ?

— Alle a dit comme ça : ah bin tant faire, aurait fallu le tuer tout à fait… Eh ! Rose, eurgardez donc le gaz comme i’danse ! i’fait guignol ! tututu, tututu, danse, danse, danse, tu…

Nous rions aux anges ; les paupières mi-closes, le nez en l’air, le gosier offert.