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lourde. Je traverse ballante le préau, j’appuie d’une hanche sur l’autre pour apporter une éponge de tableau noir, je me baisse d’une masse, avec une grâce de coltineur pour mon service des cabinets. J’ignore les hésitations de mains blanches, je tripote à même, aïe donc ! J’apostrophe les enfants comme si j’allais leur offrir un verre sur le comptoir et ma voix gratte l’accent de Ménilmontant. Telle est l’impression que je me fais à moi-même, à juste titre sans doute, car non seulement les enfants, mais les mères se familiarisent étonnamment avec moi. Je m’améliore beaucoup.

Il y a une porteuse de pain, Mme Fradin, qui, dès la Toussaint, s’est improvisée d’autorité mon amie. Son gamin est un grand qui vient tout seul à l’école et s’en va de même et je n’ai pas encore deviné comment elle me connaît si bien. Nos rencontres ont lieu le matin, dans la rue, à six heures. Elle m’interpelle :

— Hein ! ma vieille, on a du mal à commencer la journée si tôt ? Qui est-ce qui vous réveille ?… Ah ! oui, la vie est dure à nous autres ; c’est les pieds qui souffrent… pas vrai ?

Je suis forcée de m’arrêter et de soutenir un instant la conversation. D’abord, par tempérament, je désire garder les meilleurs rapports avec le quartier ; et puis, je n’oublie pas le mot d’ordre administratif : « Il faut être bien avec tout le monde » ; or la femme de service n’a qu’un moyen de réaliser ce programme, c’est de montrer les qualités d’une parfaite cancanière.