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vers la directrice : « Madame, voyez ! encore ce monstre d’Adam à cheval sur cette porte de cabinet ! » je dépiste là-dessous un certain sentiment féminin dont ne bénéficiera jamais le sage Léon Chéron.

À considérer ces deux enfants si dissemblables, on mesure déjà combien importante est l’éducation de la volonté, mais, pour être édifié complètement, il faut étudier Léon Ducret : celui-là n’a pas de volonté du tout ; un gamin blond fadasse, à visage anguleux, incolore, qui reste où on le consigne sans oser décamper. Ni bon, ni méchant, il n’est pas sympathique ; il tortille un dos craintif de bas fonctionnaire ; ses jeux diffèrent de ceux des camarades ; tous ses gestes ont des crans d’arrêt : on dirait que la surveillance l’a aplati jusqu’à lui retirer du souffle, jusqu’à l’estropier. Il désobéit, mais bêtement, pour des riens et avec une ruse mesquine ; il fait penser à l’employé qui use ses facultés à tromper la vigilance du chef, pour des niaiseries : pour lire son feuilleton, pour s’absenter dix minutes. Par exemple, Ducret fourre des cailloux dans ses poches, à la récréation, puis, dans la classe, dissimulé par les élèves assis devant lui, il lime furtivement des entailles à sa table. Pris en faute, il s’anéantit, sans ressort. Et pourtant il a été placé à la crèche dès sa naissance et, depuis quatre ans, il vit à l’école maternelle. Fallait-il qu’il fût d’une nature inconsistante ! Car enfin, ce ne peut pas être l’élevage administratif même qui l’ait plié