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CHAPITRE VI


Les salles de garde. — La wagneromanie.
Le concert Lamoureux.
Musique, mélaphysique et embryologie.
Le cours de Malhias Duval.



Les salles de garde des hôpitaux de Paris sont le lieu de réunion des internes et internes provisoires. Ils y prennent leurs repas en commun ; elles leur servent souvent de cabinets de travail et de bibliothèques. Par la qualité et les responsabilités de leurs commensaux, par les visiteurs qui les fréquentent, par le mélange de gravité et d’effervescence, les salles de garde sont à Paris des centres intellectuels. Leur influence n’est pas négligeable. Le grand public n’en connaît généralement que le côté tapageur et funambulesque, le côté « bal de l’internat ». Il y a autre chose. C’est là-dessus que je veux insister.

D’abord comme externe, puis comme interne provisoire, et surtout comme camarade d’un grand nombre d’internes titulaires, j’ai connu la plupart des salles de garde, de 1887 à 1892. J’y ai vu le déclin du matérialisme évolutionniste de la génération précédente et la naissance du culte de Wagner, de ce que j’appellerai la wagneromanie. Il est indubitable, en effet, que le spectacle quotidien de la maladie, de la douleur et de la mort pèse lourdement sur des imaginations jeunes et ardentes et leur fait chercher un dérivatif soit dans l’amour, soit dans la philosophie, soit dans la musique, soit, chose pire, dans les poisons euphoriques. De là, le grand nombre d’aventures sentimentales qui se nouent dans les chambres nues et les froids