n se représente difficilement aujourd’hui le prestige dont
jouissaient la médecine et les médecins dans la société
matérialiste d’il y a trente ans. Le « bon docteur » remplaçait
le prêtre, disait-on et la haute influence morale et sociale appartenait aux maîtres des corps, aux dispensateurs des traitements
et régimes. Il semblait entendu que les savants étaient des
hommes à part, échappant aux passions et aux tares habituelles,
toujours désintéressés, souvent héroïques, quelquefois sublimes.
Piliers de la République, bénéficiant de toutes les décorations
et hautes faveurs du régime, disposant des secrets des familles,
de la vertu des femmes et suspendant la menace héréditaire sur
la tête des enfants, ceux que j’ai appelés les morticoles régnaient
à la fois par la ruse et par la terreur. Bientôt la vogue des chirurgiens et de leurs mirifiques opérations, fréquemment inutiles, vint compléter cette tyrannie des bourreaux de la chair
malade. Trop gâtés, trop adulés, les uns et les autres, ceux de
la drogue et ceux du bistouri, abusèrent de la situation : financièrement, en exploitant leurs clients ou leurs dupes ; intellectuellement, en étendant jusqu’à la philosophie leur fatuité professionnelle, en prétendant réglementer les esprits. Or j’ai connu
ce milieu à fond, car j’ai poursuivi pendant sept années, jusqu’à