’ai fait à diverses reprises de longs séjours à Hauteville-House, la maison grise et triste que Victor Hugo habita pendant son exil à Guernesey. Le premier de ces séjours fut dans
l’été de 1885, quelques semaines après la mort du poète. Les
moindres détails m’en sont demeurés présents et je nous vois,
Georges Hugo, Payelle et moi-même, feuilletant avec respect
les livres dépareillés et annotés de la petite bibliothèque du dernier étage ou look out. Une grande présence flottait encore
parmi ces vestiges illustres. La voix forte et lugubre du vent
semblait chargée de plaintes, mêlées à un tumulte glorieux. Les
fantômes de la douleur et de la mélancolie, du travail acharné
et de la colère, de l’amour et de la méfiance, montaient et descendaient en tapinois les escaliers amortis et masqués par de
lourdes tapisseries en lambeaux. Le vieillard au cœur sec, au
verbe étincelant, à l’hypocrisie grandiloquente et raffinée, au
désir sans cesse renaissant, hantait encore ces lieux qui avaient
reçu ses confidences, ses bâillements de lion en cage, ses rugissements. On y percevait, à ses côtés, le morose asservissement
de son entourage : sa femme qu’avait désespérée au début le
voisinage de Juliette Drouet, qui s’y était habituée peu à peu
— car Hugo tablait sur l’accoutumance ; sa fille Adèle, entrée,
par la porte héréditaire et le désespoir d’amour, dans la folie
précoce et durable. La malheureuse, née en 1830 a aujourd’hui quatre-vingt-quatre ans et elle vit internée depuis plus
de cinquante ans ! Ses deux fils Charles et François, de carac-