on père me dit : « C’est demain que paraît le livre de Drumont, la France juive. C’est une carte qu’il tire au jeu de la librairie : deux gros volumes, bourrés de faits et de documents et aussi intéressants qu’un roman d’aventures. Les gens qu’il met en scène vont essayer de faire le silence. Mais je n’imagine pas que ce soit possible. Il y en aura un qui marchera et celui-là, en rompant le pacte, lancera le bouquin. »
La France juive… les juifs… cela ne me représentait pas grand’chose. On disait bien : « Un tel est juif… Les Eugène Manuel sont juifs… Les Hayem sont juifs… Albert Wolff est juif… » Mais ce terme, s’il impliquait une petite distinction, considérée comme religieuse plutôt que comme ethnique, n’avait pas une signification fâcheuse. Principes républicains, doctrine philosophique de la classe Burdeau, opinion régnante à l’École de Médecine, où je commençais mes études, tout s’accordait pour mettre les sémites sur le même pied que les autres Français, comme on disait. Drumont, avant l’apparition de son chef-d’œuvre, avant l’éclatement de sa bombe, ne faisait aucune propagande en faveur de ses idées. D’ailleurs on ne l’aurait pas compris. Il est ridicule de lui donner comme prédécesseur et inspirateur le Toussenel des Juifs rois de l’époque, que presque personne n’avait ni n’a jamais lus.
Drumont habitait alors, au fond de la rue de l’Université, une petite villa parmi d’autres villas, que je vois encore, car il