Je commence, avec cet ouvrage, la publication de mes souvenirs et je compte la poursuivre régulièrement désormais. Ce premier recueil de quatre volumes porte sur une période d’environ trente ans, pendant lesquels j’ai été à même d’approcher et de fréquenter les personnalités les plus notoires de la littérature, de la médecine et du milieu politique républicain. Fils d’un écrivain célèbre et qui avait non seulement le goût, mais la passion des échantillons humains, depuis le vagabond de la route jusqu’au plus raffiné des artistes, j’ai été en relations avec beaucoup de gens que je n’avais pas choisis et dont je devais être violemment séparé plus tard par les circonstances de la vie, ou des divergences fondamentales. Polémiste nationaliste, puis royaliste, j’ai été amené à traiter rudement ceux que je considérais comme les ennemis de mon pays. Quelques-uns d’entre eux — Zola, par exemple — faisaient partie de l’entourage d’Alphonse Daudet. Je n’ai pas cru devoir les ménager pour cela, n’ayant par ailleurs reçu d’eux que les témoignages les plus banaux de sympathie à l’endroit d’un jeune confrère. Je compte persévérer dans cette attitude. Deux personnes seulement m’ont encouragé et soutenu dans mes débuts : mon père, qui m’a mis la plume à la main ; Mme Edmond Adam, qui a publié, dans la Nouvelle Revue, mes premiers essais. Pour le reste, je me suis débrouillé tout seul. Mon indépendance vis-à-vis de mes contemporains est absolue.
Ce n’est pas généralement l’usage de livrer au public des mémoires avant les portes de la vieillesse et de la décrépitude, quand ce n’est point après le tombeau. Je contreviens à cette coutume pour deux raisons : la première est que je désire offrir à mes lecteurs un tableau véridique et sans l’atténuation qu’apporte aux jugements un âge avancé. L’indulgence ne vaut que comme compagne de la force. Autrement elle confine à la crainte et je me méfie des contours mous et des appréciations lénitives qui tiennent à l’affaiblissement physique. Certains de