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de lui-même. Le cadavre était figé dans une attitude de fureur et de résolution. Ligottin, prévenu en hâte, hochait la tête : « Voilà tout de même un suicide qu’on ne peut ni empêcher, ni prévoir. » En déshabillant le corps, Fauve, auquel il appartenait, eut un moment de trouble. La peau était marbrée de contusions dont chacune rappelait au bourreau quelque lâche torture. Le maître murmura simplement : « Pourvu que ceci reste entre nous, et qu’on n’en saisisse pas l’opinion, je ferme les yeux. Mais je regrette que ça ne soit pas un artiste. »

Ces poètes, qu’il détestait tant, étaient de mon ressort. Garuche me dit : « Je vas t’apprendre à les doucher et à leur passer la camisole. Suis-moi. » Il se rua dans une cellule où végétait un homme au grand front, à tête dénudée, à la bouche mince, aux yeux brillants, qui tressaillit en voyant l’ignoble face de la brute. Nous étions accompagnés de quelques valets qui s’efforçaient d’atteindre à l’infamie du haut personnel : « À la douche, salaud, ou on te passe la casaque ! » Telles furent les premières paroles de Garuche. « C’est la seconde fois aujourd’hui, risposta le malade. Vous voulez donc me faire mourir ? — Tu le verras bien. La perte de ta carcasse ne serait pas un grand malheur. Allons, houp ! » Les aides se précipitèrent sur le poète qui jetait des cris aigus : ils lui passèrent autour de la taille l’abominable tricot qui enserre les bras et les mains, et empêche tout mouvement. Ainsi lié, ils le descendirent dans la grande salle d’hydrothérapie, retentissante, carrelée de mosaïque, où il y a une estrade pour l’opérateur, et une barrière à laquelle s’accroche le patient. « Déshabillez-le, grogna Garuche. Toi, Canelon, regarde. Celui-là est un furieux. On lui sert le plus gros jet. » Il monta sur son trône de bois, saisit un énorme tuyau. Nous autres restions près de la porte ; et la victime nue, tremblante de froid et de terreur, aggrava ses hurlements et se cramponna d’avance à la balustrade : « Chante, mon bonhomme, chante, ricana mon aimable collègue. Tu vas