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cœur affligé, des cheveux à un océan, est-ce que je sais ! Ils menaient une vie de vagabondage et de débauches bien en rapport avec leur gâtisme. Un autre, mais il est mort, le drôle, prétendait que les lettres ont une couleur. Est-ce joli ça, hein, comme forme d’insanité ! Nous avons aussi des romanciers qui ne se repaissent que de mensonges, qui inventent à plaisir des adultères, des crimes, des incestes. Ils se soulagent eux-mêmes, je l’affirme ; ils se soulagent en écrivant. J’en sais qui m’ont avoué n’avoir pas de plus grand plaisir que d’accumuler ces horreurs sur du papier. N’est-ce pas de la démence que de forger des histoires ignobles et pas vraies, quand il y a tant de progrès à réaliser dans l’industrie, la politique, la science, la médecine ? Les lecteurs de ces pernicieux imbéciles se figurent, par contagion, que ce qu’on leur raconte est arrivé. Telle est l’origine des crimes, des adultères et des incestes. Je ne l’ai pas caché dans mon rapport à l’Académie : Là est le danger, messieurs et chers collègues, le danger capital. Si vous laissez en circulation ces métaphoromanes, ces érotomanes, ces écholaliques, si vous leur permettez d’agir sur l’esprit de leurs concitoyens, il y aura bientôt, par leur faute et par votre faiblesse, cinquante pour cent de fous dans l’État. Ces artistes sont tous des délirants de grandeur ou de persécution, des indépendants pernicieux, des solitaires. Ils menacent de saper les bases de la société, d’arrêter le progrès, de favoriser les révoltes, de ressusciter les croyances crevées. Tel dramaturge glorifie les dieux et les idoles, nous ramène à la barbarie. Son cerveau malade fait parler les arbres, les animaux, jusqu’aux pierres de la route. Tel poète complique de luxure l’acte sain et propagateur de l’espèce, le coït. Tel publiciste prêche cyniquement la lutte des classes. Si vous ne nous accordez pas les lois que nous vous demandons, l’interdiction et la mise au pilori de ces condamnables insanités, le supplice et la réclusion de leurs auteurs, c’en