Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du haut en bas, et divisée en deux par une sorte de barrière grillagée. Du plafond pendaient une foule de sonnettes, telles de bizarres stalactites : « Voilà, affirma Ligottin, mon cabinet de consultation pour mes malades du dehors, ceux dont je n’ai pas décidé l’internement immédiat. Ils viennent accompagnés. Je les fais rester derrière cette balustrade pour éviter tout accident. Comme garçon de camisole, vous serez appelé à suivre ma consultation et à maintenir les persécutés. Ces sonnettes avertissent mes gardiens en cas d’alarme. Elles datent du jour où un aliéné, que je croyais inoffensif, s’est rué sur moi subitement. Je fus contraint de l’assommer net, pour prévenir un mauvais coup. »

Nous descendîmes dans un ascenseur capitonné et garni de chaînes. Mon nouveau maître caressait la paroi de cette boîte et les anneaux de fer : « On y place les furieux ; on les attache solidement. Tout ceci est le fruit de l’expérience, de la méthode. Jadis, un d’entre eux se précipita dans le vide, et souilla de sang mon tapis. »

Ligottin tira de sa poche un trousseau d’immenses clefs, luisantes et bruissantes comme une bataille. Il les secouait avec orgueil : « Elles sont rangées par ordre d’importance. Leur grandeur correspond à la série des cellules et à l’ordre de ma visite. Cette visite elle-même, je l’accomplis suivant une routine invariable. » Une première clef, grosse comme une citadelle, fit tourner une première porte, derrière laquelle surgit une hure rébarbative : « C’est moi, surveillant Lambert ; je vous présente Canelon, votre nouveau collègue. » Deuxième clef, deuxième porte, deuxième groin grognant et tendu : « C’est moi, surveillant Fauve. Remarquez, Canelon, la belle organisation de l’escalier, et cette cage circulaire. Autour de chaque palier sont rangés les cabanons. À l’entresol, la salle de douches. Je n’entends pas le bruit de l’eau. Il n’y a donc personne. Vous la connaîtrez plus tard ; montons ensemble. »

Arrivés au premier étage : « Ici, me dit Ligottin, sont