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Après avoir traversé les salons, on arrivait aux vastes antichambres, qui donnaient elles-mêmes sur l’escalier garni de torchères. Du haut en bas, le long des marches, se tenaient les domestiques en livrée portant paletots et fourrures. Au dehors, sous la voûte, roulaient les équipages. Comment cela commença-t-il ? La chose prit-elle naissance dans une querelle de larbins, dans des boissons d’attente, ou sortit-elle naturellement de cette atmosphère énervée ? Toujours est-il qu’en une seconde, un vacarme effroyable éclata. Des cris retentirent dans l’escalier, accompagnés d’injures, de coups sourds et de refrains immondes. Les invités reculaient ébahis. Quelques-uns, qui déjà s’étaient aventurés sur les marches, remontèrent en grande hâte, comme devant une atroce irruption. Quelle fut ma stupeur de voir l’immense cocher à galon d’or de Malasvon qui, le fouet à la main, dressé de toute sa taille, hurlait à tue-tête : « Eh, là-haut ! Est-ce qu’il va pas venir, mon patron, l’arracheur d’ovaires ? » Puis éclatant de rire : « Descends donc, grand singe, grand sanglant. »

Un vent de folie et de haine se déchaînait brusquement sur l’assemblée des domestiques. Pleins d’épouvante, leurs maîtres croyaient rêver. Les dames, terrifiées, se bouchaient les oreilles de leurs dentelles, ou, furieuses, brisaient leurs éventails. Toute convention cessait. Les pôles de la vie semblaient perdus. Avec clameurs, contorsions et grimaces, leurs chapeaux à cocarde de travers ou roulés à terre, dans leurs livrées bleues, vertes ou rouges, les impudents laquais vociféraient les stupres de chacun. C’était une hideuse et spontanée ouverture d’égout, sur les toilettes, les fleurs, les tapis, un vomissement universel sur ces chairs de femmes riches, avilies, méprisées, traitées comme des filles devant leurs impuissants maris, que ces révélations gueulées ou chantées brisaient et désespéraient au delà même de la fureur :

« C’est Vomédon, Laridon, qui prend les places à la ronde ! Chantons et célébrons Vomédon le fripon ! » Ainsi