Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’empreinte sur la pâte charnelle du dur profil de l’égoïsme.

La soif de l’or altère. La faim de l’or remplace celle du pain. La digestion de l’or amène sur les peaux des tares ineffaçables, des eczémas rebelles, des plaques multicolores. À la lueur de ma raison enflammée, dans l’excitation de cette fin de bal, l’énigme de ce pays, la réponse du Sphinx morticole me fut révélée subitement. La conscience est remplie par la foi. Où la foi diminue et baisse, l’amour de l’or se précipite et crée les différences de classe, les fléaux du luxe et de l’oisiveté, l’alcoolisme, par le désir de colorer la triste vie avec le rêve. L’amour vénal produit la syphilis. Les maux des pauvres naissent de la misère ; ceux des riches, de l’excès de biens qui deviennent mortels par l’abus. L’or aussi provoque le mensonge, l’injustice, l’envie, la haine, toutes les grandes maladies sociales. Ainsi, cette race morticole, du jour où la foi déclina, était destinée à se dégrader et à périr. Elle eut l’instinct sourd de son sort et chercha à combler le vide de sa conscience. Elle crut la science une sauvegarde. Mais la science elle-même fut bien vite absorbée par l’or. De là sortirent l’industrie farouche et tous les trafics financiers. La science est devenue menaçante. Elle s’est redressée de tout son corps débile, s’est acharnée à cette loi dont elle redoutait le fantôme. Ceci explique le culte de la Matière et les cérémonies religieuses détournées de leur sens.

Mes réflexions prenaient un tour prophétique, et je restais accoté à une porte, oublieux de ma condition, quand un brouhaha confus me fit comprendre que la soirée touchait à sa fin. Les joueurs quittaient leurs tables ; les dames saluaient les docteurs, et ceux-ci inscrivaient soigneusement sur de petits carnets les rendez-vous obtenus. Mon maître rayonnait. Il tenait par le bras Malasvon qui le remerciait. À chacun et à chacune il adressait un bonsoir amical.