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des jeunes et des vieux, et chacun vint brûler de l’encens devant la puissante Idole qui se nourrit de viande humaine.

Quand le héros de la soirée fut assis, Clapier, fébrile, tout en sueur, et un peu moins digne qu’à l’ordinaire, prit la parole pour une petite annonce : « Messieurs, le célèbre professeur Foutange a la bonté de nous donner une séance de son remarquable sujet, Mlle Rosalie. » On applaudit à outrance. Les domestiques et les valets, désertant l’antichambre et poussés par la curiosité, se hasardaient vers la baie des salons. Je distinguais les dos des notabilités, les crânes dénudés ou garnis, les ravissantes coiffures des femmes ; les rousses, mousseuses et vaporeuses ; les brunes, lisses et formant, au-dessus des nuques irréprochables, de mignons casques noirs ; les blondes enfin, tramées d’or, ondulées, capricieuses. C’était une joie pour la belle lumière de faire valoir ces amples cheveux, de descendre à l’orée des corsages, de multiplier les feux des bijoux et d’étioler les fleurs piquées au hasard de toutes ces parures. Puis venait un cordon de personnages debout, plus jeunes ou plus timides, des élèves à tête débonnaire et des petits docteurs de quartier. Foutange et Rosalie commençaient leurs tours d’escamotage, quand un nain véhément se dressa : Mais c’est fous qui fenez te le lui tire ! C’était Boustibras qui voulait, au mépris des lois mondaines, rouvrir une inépuisable controverse. Foutange parut décontenancé. On éclata de rire. Clapier calma l’interrupteur. Rosalie eut une crise de nerfs. On se leva en tumulte.

Les plaisirs artificiels étant terminés, on passa aux plaisirs naturels. J’assistai aux débats de l’intérêt et du vice. Clapier n’admettait point qu’on lui subtilisât sa clientèle. Il surveillait donc du coin de l’œil le beau Tismet ; il surveillait l’actif Vodémon, Cortirac et Malasvon lui-même. Les femmes se frôlaient à tous ces médecins avec une joie câline. Ils étaient leurs confesseurs et leurs maîtres. Ces mains rudes les avaient palpées,