Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exceptionnellement sensibles et nerveuses. Les imbéciles se frottent les paumes : Soignez-la bien, docteur, et se répètent de l’un à l’autre : Elle se mourait d’un mal étrange. Aucun médecin n’y pouvait rien. Avigdeuse l’a guérie. Ah ! c’est un rude homme ! Nous l’aimons tant à la maison ! Cependant la dame minaude dans un coin : Mon docteur, c’est ma folie. Il est parfait. Si, si, je le crierai sur les toits. Sans vous, j’étais perdue, et vous m’avez sauvé la vie. Avigdeuse sourit dans sa barbe noire, plisse ses lèvres rouges, assujettit son lorgnon et verse sur sa cliente un de ces longs regards, demi-sévères, demi-prometteurs, qui ont fait sa fortune. »

Nous constations, Trub et moi, que les malades riches prenaient parti soit pour Clapier, soit pour Avigdeuse. Cela faisait deux camps dans la société, et un noble motif d’émulation. Cet énorme succès tenait à la simple connaissance de la femme morticole qui, de vingt à trente ans, a de la vanité ; de trente à quarante, des sens ; de quarante à cinquante, de l’ambition et de l’esprit d’intrigue ; de cinquante à soixante, un tempérament d’entremetteuse.

. . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . .

Clapier donna, comme tous les mois, une soirée. Le Tibia brisé rendait compte de ces cérémonies, où de célèbres artistes consentaient à chanter gratis, pour remercier mon maître de ses soins. À ces occasions, la pauvre Mme Clapier, que maintenait l’œil froid et dur de son mari, s’efforçait, par une politesse exagérée, de faire pardonner ses humbles origines. L’amphitryon se prodiguait. Dans les salons aux boiseries somptueuses, se pressait une foule élégante, plus libre que chez Pridonge. On n’entendait que ces mots, articulés par de jolies bouches : « Cher docteur… Oui, docteur… Certainement, docteur. » Tandis que je passais les glaces et les rafraîchissements, je surprenais des bribes de dialogue : « Comment ça va-t-il ?… Et l’estomac ?… Encore un peu de toux ?… Cette