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CHAPITRE III


Je revis Trub. Il me confia qu’il allait décidément quitter le service de Dabaisse et devenir valet de chambre d’Avigdeuse. Notre espoir à tous deux était de gagner assez d’argent pour fréter une galère et nous enfuir. Trub me dit : « Ton ancienne passion, qui t’apportait salle Vélâqui ton ragoût et des gâteaux, la petite Marie, est aujourd’hui cuisinière chez le spécialiste Purin-Calcaret, et celui-ci cherche un valet de chambre. Présente-toi. »

Tout se passa fort bien. Je retrouvai ma bonne amie, qui se montra un peu froide, mais très complaisante. Son maître était garçon. En outre, il avait une forte corpulence, l’air réjoui et habitait une avenue aérée qui conduisait au port. Il m’accepta d’emblée. Je quittai Sorniude à l’improviste, et m’installai aussitôt chez mon nouveau patron.

Purin-Calcaret, grisonnant, bedonnant, figure ouverte agrémentée d’un court collier de barbe, mangeait de bon appétit, buvait comme un trou et trempait les doigts dans son nez avec acharnement. Son deuxième défaut était l’ingratitude. Je ne vois pas trop comment il différait par là de la plupart de ses concitoyens, lesquels oublient de suite les services rendus. Toujours est-il qu’on l’appelait couramment l’Ingrat. Il était spécialiste pour les maladies du cuir chevelu et du nombril, et son cabinet de travail, une pièce sobre, sévère, large, carrée, où il ne tolérait pas un grain de poussière, était garni de bocaux dégoûtants. Dans