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CHAPITRE II


Mme Sarah me donna congé. Je descendis chez Banarrita, mais le pharmacien était tout occupé à se lamenter sur son propre sort. Il me fallait pourtant trouver une place, sous peine de tomber aussitôt dans la classe des malades pauvres. Mlle Hélène me vint en aide. Elle avait entendu dire qu’un certain Sorniude, chirurgien, avait besoin d’un domestique. J’y courus sans retard. Le nom de Sorniude ne m’était pas inconnu. J’évoquai les silhouettes effacées de Serpette et de Louise, et je me rappelai ces paroles : Un petit homme à l’air méchant, et sec, sec comme un couteau.

Ce praticien habitait, non loin des égouts, une maison de superbe apparence. Dès l’entrée, son ancien valet de chambre me dévisagea et me dit : « Ah, c’est vous qui me remplacez ? Vous en verrez de drôles. » L’appartement était tapissé de cretonnes et peluches fades, roses, jaune tendre et crème, de sorte qu’il semblait qu’on pénétrât dans un gâteau. Mais ceci apportait à l’œil une impression de gaieté, laquelle se dissipa vite quand je fus en présence de mon nouveau maître. Tout en lui était cruel. Il avait le visage losangique, terminé par un menton pointu, peu de cheveux, les lèvres minces, décolorées, le regard vert et perçant, le corps étroit. Sa démarche était sèche, son geste sec, son langage bref : « Service dur, mais forts gages… Tant pour la nourriture… Tant pour le linge. »