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Les trois docteurs sortirent, Gigade ricanait en refermant la porte : « Ce Wabanheim se croyait éternel… Bah, de toutes façons, couic ! Fichu ! » Je recouchai mon maître. Il m’implorait : « Mon bon Canelon, Félix…, va chercher quelqu’un d’autre…, Cortirac qui m’a vaincu… » Je lui obéis en hâte. Dans l’escalier je croisai Banarrita : « Quelles nouvelles ? — Je le crois perdu. » Ses lunettes tombèrent. Le pharmacien les ramassa, gémissant : « Voilà une aventure ! Qu’ont diagnostiqué ces messieurs ? Ma maison est compromise. Qu’il essaye donc de notre Banarritine. Peut-être est-ce bon, après tout. Que vais-je devenir, moi ? Il faut que je me concilie Cortirac… » Je ne l’écoutais plus. J’enjambais les marches. Je me précipitai chez Bradilin. Il était sorti… Mouste n’était pas visible. Canille avait consultation et me fit répondre par son domestique : « Mon patron ne peut pas se déranger. Sa journée de demain est prise. Votre vieux a le temps de claquer. » Charmide et Dabaisse, depuis l’affaire de l’Académie, étaient partis en exil. Tabard mangeait des excréments en famille. Clapier et Avigdeuse avaient des dames. Enfin, Boustibras, mon dernier espoir, me congédia lui-même avec son petit accent bizarre : Je m’édonne que mossié Wabanheim me fasse témanter. Il a été toujours un maufais collèque pour moi. Ce serait de la vaiblesse de ma bart. Dites que c’est moi qui fiens te fu le tire. Je passai par l’hôpital Typhus. Jaury consentit à me suivre. En chemin il répétait : « Ah ! le vieux farceur ! Il y passe donc à son tour. Ne vous désolez pas trop, Canelon. Si les rôles étaient renversés, il vous verrait mourir, je vous assure, avec plus de sérénité. » Mais je ne pensais plus à la dureté de Wabanheim et je m’étonnais qu’on la rappelât, j’avais oublié le juif ambitieux et rapace. Je ne songeais qu’à ce môle de chair vive que tout le monde abandonnait.

À notre retour, Mlle Hélène, qui gardait Wabanheim pendant mon absence, s’évada discrètement. Mon maître, étendu, se plaignait d’une manière lamentable. Il fallut