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nouveau-nés l’apprécieront, ainsi que les vieillards et les adultes des deux sexes, et, plus on l’absorbera, cette Banarritine célèbre, plus on sera allègre, dispos, sûr d’échapper à la contagion, à la fatigue, à l’ennui, à la constipation, à tout, sauf à la nécessité de verser l’argent dans ma caisse. Ce qui m’attriste, c’est de partager avec votre vieux rat. Ce n’est pas juste. Il devrait se contenter du tiers. »

Les Morticoles se passionnent pour les médicaments nouveaux. Lors de l’invention de la Banarritine, mélange nauséabond d’encre et d’huile de ricin, Burnone vint jusqu’à trois fois en une heure à la pharmacie pour compléter son approvisionnement, tant il avait peur de manquer de cette admirable panacée. Banarrita était farci d’anecdotes. Il me racontait les méfaits de Boridan et d’Avigdeuse, leur entente avec Tismet, les rapports entre médecins et chirurgiens, les entreprises fabuleuses, les rivalités d’argent, l’âpreté avec laquelle on se disputait la clientèle et l’on terrifiait les malades : « Si vous retournez chez Wabanheim, disait Cudane à l’impressionnable Burnone, vous êtes perdu » ; et, pendant huit jours, Burnone se faisait électriser. Puis un remords le prenait ; il retournait chez Wabanheim et lui confiait sa défection : « Si vous retournez chez Cudane, s’écriait le malin juif, je ne réponds plus de rien. Au reste, je me désintéresse d’un pareil imbécile. » Or Burnone s’appelait légion. Banarrita n’approuvait ni ne désapprouvait ces mœurs de chiens qui s’arrachent un os. Il les constatait simplement. Intermédiaire entre la rapacité des docteurs et la sottise des riches, il s’efforçait d’exploiter les deux, d’organiser sa réclame, d’utiliser les connaissances et les lumières de ces Messieurs, comme il appelait les membres de la Faculté et des Académies. Placé à la source du mystère, il bénéficiait de tous les secrets ; il possédait un scepticisme exquis qui le portait à l’indulgence. Mes indignations l’amusaient. Il les calmait par quelques sages paroles :