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qu’à un petit local triste et nu. Celui-ci communiquait avec un amphithéâtre où l’on tirait en ce moment au sort l’ordre dans lequel nous nous présenterions devant le jury. La porte s’ouvrit : un deuxième huissier appela : Félix Canelon !

Je pénétrai dans la salle. Bien qu’on fût en plein jour, elle était éclairée à la lumière électrique. Sur les gradins s’entassaient les spectateurs, avides de voir comment un étranger s’en tirerait. Les professeurs étaient assis dans de confortables fauteuils, tous en grand costume, toges et toques rouges. Leurs pieds, placés sur des tabourets, étaient cachés par une longue couverture noire portant les armes des Morticoles, la tête de mort blanche flanquée de deux os blancs. Ils avaient l’attitude rogue et sévère. Je distinguai confusément les visages de Boridan, Bradilin, Tabard, Mouste et Clapier, mais mes regards s’attachaient à leurs mystérieuses extrémités inférieures. La grande pendule tinta. On avait vingt minutes pour l’épreuve totale, quatre minutes donc pour chaque paire. M’armant de courage, je commençai. La couverture disparut. Déjà j’étais à genoux devant ceux de Boridan. Ils étaient blêmes, gras et froids, et j’eus, en appliquant ma langue sur eux, une sensation de glace grenue et peu de dégoût, ma vive imagination m’ayant averti et me tempérant la réalité. Ma bouche s’engourdissait. N’importe ! Je suivis l’ordre indiqué : le dos, les chevilles, les orteils, du pouce au petit doigt, et je remarquai avec surprise la forme bizarre de ce dernier. Il était plus un minime moignon qu’un organe, privé d’ongle mais non de petites envies qui me râpaient les lèvres au passage. Je crus que je n’en finirais point avec cet onctueux brimborion, sur lequel se dressait un cor rond et dur, pareil à une coupole. La plante ne fut plus qu’un jeu et, tandis que je m’activais, le gros pied me ballottait dans la figure, secoué par les tressaillements du propriétaire. Son frère et voisin subit le même sort.

Quel changement avec Bradilin ! Une branchette sèche