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battements de mon cœur, il importe de flétrir de suite, et avec la dernière énergie, cet inconscient qui ose augmenter la somme des maux humains et s’en vante. Ainsi on a voué à la mort un jeune homme de quatorze ans ! Mais c’est un meurtre, un meurtre odieux ! On a traité ce pauvre enfant comme un cobaye ! Je le déclare, M. Bradilin est un monstre ; je déclare aussi que, si vous ne votez pas immédiatement un ordre de flétrissure condamnant ces assassinats scientifiques, je quitte une Compagnie où nous sommes les lâches complices d’un bourreau. » J’applaudis avec fureur, ainsi que quelques voisins, mais la majorité de l’assemblée restait muette et pétrifiée. Le noble Charmide se leva : « Je m’associe à la demande et à l’indignation de mon cher collègue Dabaisse. De pareilles expériences sont une infamie et une honte. »

Bradilin, hideux et vert, croisait les bras d’un air de défi. L’enfant tremblait dans sa blouse mal rajustée. Que comprenait-il de tout ce débat ? Quel grelot tintait dans cette humble intelligence marchant à une mort infligée ? Il y eut du tumulte, des contestations. Dabaisse et Charmide demeuraient debout, calmes et résolus. La sonnette de Vomédon vibra : « M. le professeur Bradilin a la parole. » — « Messieurs — le drôle s’efforçait d’être impertinent —, je suis surpris, comme vous tous, d’une inqualifiable attaque qu’il faut mettre, je le crains, sur le compte de la jalousie. D’abord j’ai acheté mon sujet à ses parents, des gens très pauvres, et je l’ai payé cher. Il m’appartient donc en toute propriété. Ensuite, je crois, avec la plupart d’entre vous, que les droits de la science priment ceux de l’individu, et je n’ai fait, en somme, que suivre tant d’illustres exemples qui m’ont été donnés par les meilleurs de mes prédécesseurs et de mes contemporains dont les bustes — il eut un geste circulaire de cabotin — décorent cette salle. Je regrette d’être en contradiction radicale avec MM. Dabaisse el Charmide qui sont des praticiens honorables, mais nullement des physiologistes.