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des jeunes, des vieux, des maigres, des gras, des chevelus, des chauves luisants, et, à mesure qu’ils s’empilaient, des bouffées de vanité et de sottise plus compactes traversaient la chaude atmosphère. C’était pour avoir le droit de mettre leurs derrières sur ces bancs cirés, de relever leurs pupitres, d’écouter en bâillant des orateurs maussades, que ces hommes passaient leur vie en compétitions, en calomnies et en querelles. Tel était le but suprême, l’idéal de leur existence : s’enfermer, clabauder et puer dans cette enceinte, au-dessous des bustes de leurs prédécesseurs qui, eux-mêmes, s’étaient enfermés, avaient clabaudé et pué rigoureusement, et ce serait toujours ainsi jusqu’à l’extinction des siècles. Jamais ces têtes obscures ne s’éclaireraient. Jamais elles ne se demanderaient : « Que faisons-nous là, à nous étager, pauvres viandes humaines, en attendant la mort ? » Non. Ils considéraient au contraire qu’ils devenaient d’une essence divine, parce qu’ils se serraient les coudes et les genoux, les préjugés et les passions sèches. La confraternité n’était qu’un prétexte à coteries. Les caquetages des derniers rangs, les plus élevés, parvenaient à mes oreilles. Je percevais les noms de Wabanheim et de Cortirac, des bras levés, de subtils clins d’œil, des sourires, des sourcils froncés. On agitait la grave question de savoir lequel de ces messieurs l’emporterait à l’autre Académie, celle d’à côté, exprimant encore un degré de plus, une sélection, un tri suprême. Ils étaient présents, les rivaux Wabanheim et Cortirac, entourés de leurs partenaires. Mais ils ne jouissaient pas de leur pupitre, ni du vert bureau, ni de l’émoi qu’ils soulevaient. Ce qu’ils convoitaient, c’était l’os creux qu’ils n’avaient pas, et, après cet os creux, ils en désireraient un autre, puis un autre, et le dernier de tous, le plus décisif, le plus creux, le tombeau, serait le seul qu’ils n’ambitionneraient point.

Au milieu de tous ces susurrements, bourdonnements, frétillements de bas de soie noire, d’habits bleus et de