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moindres tenanciers d’un poste, d’une faveur, d’un ministère. Or les ministres sont des poupées de carton, le plus souvent véreuses, que les parlementaires abattent ou dressent par désœuvrement. Donc, Vomédon avait ses clients dévoués à tous les échelons de la hiérarchie, et il se hissait ensuite sur les épaules de ceux que lui-même avait élevés. Il s’acharnait, en science, à un certain nombre de formules aussi arrêtées que dangereuses et peu originales ; et, comme Le Prêtre fouetté et les comptes rendus des Académies célébraient chaque jour ses sublimes trouvailles, chacun finissait par y croire et par admettre des merveilles qu’on n’avait pas le temps de contrôler. Ainsi se créent les dogmes scientifiques, les plus implacables, les plus étroits, que l’on impose aux générations, le Dogme Crudanet, le Dogme Sidoine, le Dogme Cortirac. Devant ces idoles s’agenouille dévotement le bon public, lequel paye tous les frais des grasses existences à la Vomédon.

Avigdeuse avait une autre méthode. Lui utilisait les riches. Alors que ses confrères les dédaignaient, hors des consultations, et ne les jugeaient bons qu’à rétribuer largement la mort qu’ils leur distribuaient plus largement encore, Avigdeuse, avec un tact exquis, les flattait, les chatouillait, les adulait. Son succès reposait sur les femmes et, comme elles se tiennent toutes, il agissait sur ses collègues par cet élégant canal. Il racontait aux dames émerveillées et terrifiées ses splendides expériences. Il leur demandait des conseils sur le style de ses ouvrages, « car, ajoutait-il fièrement, je ne suis point un artiste, et je ne sais qu’exposer brutalement les faits que j’observe. » Il jouait le savant auprès des malades riches, et l’homme du monde auprès des savants, impressionnant les deux, se moquant de tous. Son matérialisme pratique portait des gants parfumés, d’astucieuses cravates, dardait un beau regard noir au-dessus de sa barbe noire…

Cependant l’époque des Lèchements de pieds approchait,