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du dehors. Je considérai longuement, tendrement ces bustes rapprochés, lumineux et frivoles. Si j’avais souhaité, malgré toute mon angoisse, l’image voluptueuse de l’effroi supporté ensemble, je la trouvais dans ces deux êtres délicats. Louise et Serpette, je vous admirais mortes, mortes dans cette chaude splendeur ! Combien de fois, rôdant à travers la nuit, vous aimant et détestant le sort, n’aviez-vous pas désiré le feu, le pain et l’abri ! L’abri, vous l’avez ; il est dans cette solitude, dans vos mains jointes serrant vos tailles souples. Le pain, c’est celui de la terre ; et comme la réverbération vous anime, de quelle parure elle revêt vos hardes ! Que votre dernier baiser doit être tiède et doux ! Transporté de joie, j’allais m’étendre près d’elles, demander à leurs âmes ailées une part de cette béatitude, tant leurs corps étaient beaux et de noble allure ; je soulèverais les molles paupières, je baiserais un dernier regard qui concentrerait l’éternel, et, sous cette voûte étincelante, j’aurais la prescience du Paradis !

Un brusque son de trompe rompit et déchira mon extase. Je bondis en arrière. C’était une troupe de perquisiteurs. Ils saisirent brutalement, dans leurs pattes bizarres, les dépouilles de Louise et de Serpette. La magie disparut. Le temps que je mis à respirer une gorgée d’air poussiéreux, elles n’étaient plus que deux cercueils, mes deux jolies sœurs d’incendie et de misère.

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Quelques pas plus loin, je retrouvai la Faculté. Je montrai ma carte à la grille. La cour centrale, flamboyant portique, était un océan humain dont chaque vague reflétait l’ardeur céleste. Que de faces levées au ciel ! Que d’autres penchées vers le sol, moutonnantes ! Que d’autres animées par les discussions ! Julmat me tirait par la manche : « Où te cachais-tu donc, malheureux ? Tu es pâle et maigri. Viens, il y a un buffet. » Il m’entraîna dans le vestiaire