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— Heureusement qu’il n’y en a plus pour longtemps. J’ai l’âge où ça claque, les femmes comme nous. »

Ce récit nous ouvrait une série d’abîmes que nous ne soupçonnions pas encore, et, quand Louise cita son âge, l’idée qu’à dix-sept ans elle était déjà vieille me fit tressaillir. Je ne comprenais que vaguement ces histoires d’ovaires, mais elles m’intriguaient d’autant plus que les Morticoles se plaignent sans cesse de la dépopulation ou diminution des enfants. Or Louise m’assurait que des milliers de femmes étaient ainsi mutilées. Trub, dont l’attention se fatigue vite, voulait partir. Serpette s’était endormie, et son visage, incliné sur ses menottes en croix, souriait à quelque rêve furtif. Divin sourire, qui illuminait la créature, ses petits doigts noirs, ses dentelles souillées, ses pauvres lèvres desséchées par la fièvre et les baisers sans nom ! Et dans le tendre geste de Louise, lui passant les bras autour du cou pour la réveiller, il y avait l’emblème de toutes les amitiés et de toutes les amours, de la chair qui, devant le dur destin, se cache et se tapit contre la tiédeur de la chair.

« Vous vous en allez ? soupira Louise bourrant ses poches de dessert. Vous avez été bien bons. Je ne vous ai pas ennuyés ? Ils s’en vont, Serpette ! Debout, paresseuse ! » Trub appela le garçon, régla la note et laissa en plus deux pièces d’or sur la table : « Pour vous, mes petites. » Louise le considéra avec étonnement : « Vous êtes étranger, vous. Vous n’avez pas eu de plaisir et vous nous payez cependant ! — Nous reverrons-nous jamais, ô mes charmantes ! Tous mes respects au docte Sorniude ! » s’écria Trub, qui tient à dissimuler son cœur sous des plaisanteries…

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Le lendemain matin, fatigué par ma journée de la veille, j’étais plongé dans un sommeil profond, où il n’était question que d’ovaires arrachés, quand je fus réveillé en sursaut par des coups brusquement frappés à ma porte. C’est toujours une impression dramatique et dure. J’allai ouvrir