Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je croyais les voir tourner dans l’alcool, se faire des signes, railler ces dénominations dont on les affublait…

À côté s’étendait la bibliothèque, large et spacieuse, contenant environ cinquante mille volumes. Là était démontrée l’absolue fragilité de la science. Sur les plus hauts rayons, auxquels on n’atteignait même pas à l’aide des longues échelles roulantes, s’entassaient les piles poussiéreuses d’ouvrages jadis célèbres, maintenant inutiles et dédaignés et dont une courte mention était faite au catalogue moderne. Ces antiquités rongées aux mites eussent fait sourire un étudiant de première année. Mon esprit se reportait vers les jolies chansons et légendes de mon enfance et de celle de mes aïeux, qui étaient toujours demeurées aussi fraîches, aussi émues, fleurs mobiles à travers la race. Elles ne prétendaient pas au progrès. Elles savaient, dans leur rythme sage, que l’homme d’hier vaut l’homme d’aujourd’hui, et elles consentaient à enchanter les cervelles naïves, toujours identiques, bien que séparées par des siècles.