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anxieusement Foutange et Boustibras ; dès que la porte s’entrouvre, tous les regards se tournent vers elle et les bavardages s’interrompent.

« Laissons ces singes gambader, me chuchote Trub à l’oreille. Je veux te montrer le service des femmes, en attendant l’arrivée du maître, et nous irons ensuite directement à l’amphithéâtre. »

Nous entrions dans une grande salle dont l’aspect multicolore et confus me saisit d’emblée. Chaque lit était une folle petite chapelle, ornée d’oripeaux aux couleurs extravagantes, où le jaune et le violet luttaient en hurlant avec le rouge et le bleu ; sur les étoffes chiffonnées ruisselaient des avalanches de colifichets et bimbeloteries, statuettes de plâtre et de verre, objets de forme inconnue, d’usage vague, poteries indéterminées, herbes sèches, jusqu’à des bouts de bougie et des bobines de fil. Au milieu de cette mascarade s’énervaient, s’étiraient une trentaine de femmes étranges, quelques-unes jeunes et jolies, d’autres vieilles, mais toutes fardées, les rides plâtreuses et roses, les cheveux travaillés de façon biscornue, dressés en tire-bouchon, ou s’envolant de toutes parts, comme sur les têtes de gorgones et de méduses, ou bien plaqués en accroche-cœur, mouillés, huilés et collés sur les tempes, ou divisés en série de petites nattes, chacune nouée par une faveur de nuance diverse, l’acajou tranchant sur le brun, et le blanc sur le blond ; des bonnets fantastiques et criards, en dôme, en pointe, en parapluie, à la hussarde. Des peignoirs ouverts sur le côté, friperie de cauchemar, découvrant le flanc et la cuisse, brodés, soutachés, parsemés de dentelles et de graisse, de crasse et de guipures. Certaines filles avaient des poses de nonchaloir, couchées tout habillées sur leurs lits, faisant saillir les hanches, accroupies et fumant d’odorantes cigarettes, mâchonnant des choses dures, du bois et de la craie. D’autres s’amusaient à se poursuivre avec des clameurs insensées, à se battre, se mordre, se griffer, s’envoyer des