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ples fervents, se tiennent à l’ombre de leurs maîtres. Ils déposent sur la longue table des cannes et des paperasses, édifices instables qui s’éboulent à chaque instant. Tabliers et calottes noires frétillent. Et l’on potine, l’on potine ! On entend citer des noms propres, des anecdotes ressassées cent fois. J’aperçois des étudiantes, la plupart laides, des dames aussi, malades riches et désœuvrées. Patronnées par un docteur, elles ne s’écartent pas de leur guide ; celui-ci les renseigne en s’épongeant les tempes. L’assemblée dégage une chaleur, une odeur néfaste, et le désir malsain de s’exciter les nerfs. Les élèves de Foutange, Tripard en tête, se distinguent par leur sérieux. Ils démolissent bien, dans le privé, un maître trop naïf, mais le public, la concurrence, le sens de la gloire les impressionnent. On se montre le dramaturge Loupugan, idole de ses concitoyens, qui passe sa vie au milieu des docteurs et leur demande des sujets de pièces. Il emploie dans ses drames des termes d’anatomie que lui fournissent Tismet et Avigdeuse. Je contemple le peintre Stéphane, chien mouillé, battu et fangeux. Il cherche à l’hôpital de quoi barbouiller ses toiles avec des pieds bots authentiques et des convulsionnaires exacts. J’admire un poète qui chantera sur le mode mineur les beautés de l’hypnotisme ; une série de juges zélés, désireux d’étudier de près cette grosse question de la responsabilité morale qui leur permet de considérer les scélérats comme des innocents et ne les dispense pas de demander leurs têtes. Ils questionnent sans trêve leurs amis médecins, avec des mines, des attitudes, des réticences et des masques de théâtre, tellement qu’on ne les distingue pas de quelques cabotins et cabotines, interprètes fidèles de Loupugan, venus là pour simuler l’attaque d’après Rosalie qui, elle-même, la simule. Mensonge sur hypocrisie, hypocrisie sur mensonge, tout cela évolue et moutonne en une énorme masse humaine où l’on chercherait en vain un grain de pitié, un atome de bonté, une goutte d’intelligence. On guette