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de sa poche une feuille de papier : « Primo : Sulfate de quinine. Tu feras l’écœurée. Tu t’écrieras : Que c’est amer ! Pouah ! Que c’est dégoûtant, mes oreilles bourdonnent. Secundo : Ipéca. Ceci, ma mignonne, c’est le grand jeu. Il faut vomir. Foutange sera si content ! — Ça va, répondit-elle. Je me tirerai de tout. » Elle inspecta la liste des médicaments en connaisseuse. Je me promis de ne pas manquer la séance de Foutange.

La conversation devenait générale. On parla des cruautés auxquelles donnait lieu l’hypnotisme : « J’ai vu dernièrement, racontait Rosalie, une petite fille de quatorze ans, une vraie malade, celle-là, qu’on a rendue complètement folle. On la faisait travailler tout le temps : pour un médecin de villes d’eaux, pour un étranger, pour rien, pour le plaisir. Elle était à peine nerveuse en arrivant à l’hôpital. Elle en est sortie pour aller aux cabanons de Ligottin.

— Mais, riposta Gigade, qu’avait-elle de mieux à faire que de servir la science ? — Son ton subitement grave me parut plus joyeux encore que ses précédentes cabrioles. — L’hypnotisme est la plus belle conquête de la médecine moderne. Il éclaire tout, la jurisprudence, l’histoire, la vie journalière. Il diminue la responsabilité. Il sert à expliquer la philosophie, la peinture, la religion, la musique et la littérature. Il nous permet de mettre la main sur tout. Nous lui devons notre omnipotence. Nous avons suggéré au public de nous hisser sur le trône, à la place des rois, et sur l’autel, à la place des prêtres. » Là-dessus, Gigade bondit au piano et joua un furieux galop que dansèrent les internes et Rosalie, laquelle levait ses jambes jusqu’à sa tête.

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Boridan savait par Quignon ma résolution d’étudier la médecine : « Surtout, me dit-il, apprenez à lécher les pieds », et il me permit de m’absenter tant que je voudrais.