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— Comment va-t-il mon bonhomme, patron, interrogea faiblement Misnard, et le 34, vous savez, la fracture du crâne ?

— Bien, bien, ils vont tous bien. Fiche-moi la paix avec les autres. C’est de toi qu’il s’agit, mon brave enfant, de toi qui nous fais des peurs affreuses. Examinez-le, Charmide, je vous en prie. »

Charmide éclaira le gosier, ausculta, tâta le pouls et moi, qui connaissais sa physionomie et sa façon discrète de dissimuler une mort imminente, j’eus le cœur atrocement serré. Il dit quelques paroles à l’oreille de Dabaisse, puis tout haut : « Vous vous en tirerez, cher ami ; le mal rétrocède. — Docteur, insista Misnard, est-ce que les bronches se prennent ? Il me semble que je respire difficilement. J’ai ce rythme cahoté que vous avez décrit. » Je compris alors que, malgré ses recommandations et son assurance, l’infortuné gardait quelque espoir. Il prononçait des termes techniques et ne quittait pas des yeux Charmide et Dabaisse, leurs loyaux visages bouleversés et qui s’efforçaient d’être rassurants. Pendant quelques minutes, tous trois causèrent comme s’ils discutaient un point de science où personne ne fût en question.

La journée du lendemain se passa de la même manière, coupée par des remèdes, des visites de collègues et de Dabaisse. Celui-ci me recommanda, si Misnard allait plus mal, de le prévenir aussitôt. Il ajouta comme pour se soulager la conscience : « J’ai un remords. J’ai un remords. J’aurais dû être là de meilleure heure, prévenir son zèle… » Le malade respirait de plus en plus mal. Son regard, dans la figure terreuse, prenait une fixité glacée, et, quoique sa fièvre diminuât, ce que nous constations ensemble au thermomètre, il était dans un état de prostration croissante. Cette seconde nuit, j’entendis un faible murmure : « Canelon, parlez-moi de Dieu, puisque vous croyez, vous. » Alors, je m’approchai, et de tout près, tenant sa main moite, je lui dis sur ma certitude d’un Sauveur, d’une vie