Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un des politiques debout sur les marches tira de sa poche un papier et se mit à lire, fréquemment interrompu par des exclamations ironiques et des jurons : « Chers concitoyens, c’est aujourd’hui notre fête nationale. Je suis heureux de constater ce concours de populations qui viennent saluer la statue protectrice de la Cité. La Matière a banni les vaines idoles de la religion, chassé les ténèbres de ses bras robustes et rempli les cœurs d’allégresse. Grâce à elle, le règne de la raison est arrivé. L’instruction s’étend à toutes les classes, avec son inévitable cortège de progrès, de fraternité et de justice. À l’ombre de ce palladium, de justes lois sont écloses qui protègent les moindres citoyens, leur assurent la jouissance de bienfaits incessants. La paix règne au dedans comme au dehors. Le pauvre est soigné et guéri comme le riche. Les triomphes de la science sont plus nombreux que jamais. Je veux ménager les modesties, mais qu’on me permette de citer les noms respectés d’un Malasvon, d’un Boridan, d’un Cudane, d’un Bradilin, d’un Cloaquol qui consacrent toute une existence d’abnégation à améliorer le sort de leurs semblables. Sur la noble route ouverte aux inventions pacifiques, la statue de la Matière s’avance sans chanceler, et sa marche éclaire les consciences. Une saine entente de l’hygiène et des modifications économiques et sociales a remplacé la vile croyance en Dieu, tari la source des préjugés néfastes et des vieilles erreurs. Ces glorieux résultats n’ont pas été acquis sans peine, mes chers concitoyens, mais nous serons suffisamment récompensés par votre reconnaissance. »

Après ce discours, prononcé d’un ton de cabotin, une main vers la statue, et l’autre sur l’absence de cœur, des applaudissements éclatèrent parmi les docteurs, mais le peuple resta silencieux et morne. Un des rutilants, le beau Tismet de l’Ancre, prit la parole, au nom de la médecine agissante, pour remercier le Parlement et énuméra les progrès de l’année, où il se tailla sa large part. Quand il en vint à la sublime institution du Secours universel qui