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CHAPITRE VI


Le jour qui suivit cette opération était un dimanche et nous avions congé, Trub et moi. Une chose nous tourmentait : nous étions sans nouvelles de notre capitaine qui, néanmoins, ne devait pas être mort. Que Trub avait donc une physionomie comique et un délicieux costume ! Une longue redingote noire lui battait les talons. Sa figure menue aux yeux vifs était encore rapetissée par une gigantesque cravate de satin rose. Enfin il avait tellement lissé ses cheveux avec de l’eau qu’il paraissait, sous son chapeau, porter une calotte noire. Je ne lui communiquai pas mes réflexions ; comme tous les ironistes, il était fort susceptible, principalement sur le chapitre de la toilette.

Nous sortîmes par un brouillard blanc à saveur de menthe, que perça bientôt un mince rayon de soleil à peine teinté de jaune. Je remarquai sur la façade de l’hôpital Typhus une multitude de drapeaux à tête de mort : « C’est aujourd’hui la fête solennelle de la Matière, me dit Trub. Les Morticoles ne croient plus à rien, mais ils ont gardé les cadres de la croyance et les remplissent de superstitions. Si tu veux, nous allons d’abord flâner vers le quartier pauvre où habite un de nos anciens malades, nommé Bryant. »

Il n’y avait presque personne dans les rues. On se recueillait sans doute pour la cérémonie. Les statues émergeaient lentement de la brume et nous voyions moins les édifices qu’une sorte de fumée voltigeant autour d’eux.