Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diable qui se lamentait d’une manière déchirante. — Quant à Cercueillet, continua-t-il, il peut, comme chirurgien, demander, en dehors de nous, ce qu’il voudra. — Quinze cents francs », déclara Cercueillet avec fermeté. C’était la seule affirmation qu’il se fût permise. Boridan comptait sur ses doigts, tandis qu’il regardait sa montre : « Deux mille et deux mille, plus quinze cents. C’est parfait. Voilà le quart d’heure. Cessez et dégarnissez l’appareil. » On rhabilla le paralytique, on le remit dans son fauteuil. Mouste était allé chercher la femme : « Docteur, que je vous remercie ! Quand la guérison sera-t-elle complète ?

— Mon Dieu, madame (et Boridan prit son attitude la plus digne), on ne peut espérer en une fois la disparition des symptômes graves. Mais je suis sûr d’enrayer le mal. La prochaine séance aura lieu dans un mois. Mon ami et collègue Mouste vous préviendra. Maintenant du repos et un régime fortifiant. Des épinards en masse, puisqu’il paraît les aimer.

— Et quant aux sorties ? Nous avons plusieurs soirées cette semaine. »

Ce fut Avigdeuse qui répondit avec empressement : « Les sorties ne sont pas nuisibles, au contraire. Couvrez-le bien et qu’il se distraie. Il moisirait dans son fauteuil. — Tu vois, casanier ! s’écria la triomphante épouse. Je ne peux arriver à le remuer. Encore merci, docteurs, et à bientôt. » Nous sortîmes ; la dame faisait voltiger les dentelles de sa robe de chambre. Son mignon visage était radieux. En descendant l’escalier, Avigdeuse chuchota à l’oreille de Boridan : « Nous aurions pu aller à trois mille. » Mouste était resté en haut. Cercueillet sifflotait et regardait attentivement la rampe de fer ouvragé.

. . . . . . . . . . . . . . .

Trub m’avertit un matin que je devais assister en ville le docteur Dabaisse, comme celui-ci m’en avait prié lors de sa fête. Nous allions cette fois non chez des riches,