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lequel se jouait l’épouvantable drame, y déposa un fiévreux baiser. Dabaisse fit un grand signe de tête : « C’est bien cela, ma fille, c’est très bien. »

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Au sortir de ces beautés, le service de Boridan me sembla dur. Comme un valet de bourreau, je dus porter en ville les châssis d’un appareil avec lequel mon maître écartelait ses malades et guérissait leurs névralgies. Je montai près de Quignon dans un des superbes équipages à deux chevaux du patron et nous parcourûmes au grand trot des rues régulières. Cette géométrie est l’apanage de la cité morticole. La vue de chaussées au cordeau, de jardins ronds, de statues à intervalles fixes, de demeures construites sur le même modèle, cette architecture implacable exprimait à elle seule la cruauté des habitants. Après le fleuve et les égouts, nous arrivâmes au quartier des riches. Partout nous éprouvions des ressauts mous, la voiture roulant sur de la paille devant les nombreuses maisons où l’on agonise.

Je regardais du coin de l’œil la tête plate au nez cassé de l’interne, tandis qu’il me recommandait de serrer les caoutchoucs. Nous nous arrêtâmes à la porte d’un hôtel superbe, et j’installai tant bien que mal mon bagage dans l’ascenseur qui grimpait le long d’escaliers chauds et tapissés. À l’antichambre se tenait un domestique en livrée. Cette race est, comme ses maîtres, respectueuse et craintive en face des médecins. Dans un coin, une petite fille pleurait. On nous conduisit à un salon où se trouvaient déjà le stupide Cercueillet, le silencieux Mouste, Avigdeuse qui développait sa théorie de l’animisme. J’ajustai mon appareil. Boridan arriva tout essoufflé : « Pardon ! Je suis en retard. Bonjour, Cercueillet. Bonjour, Mouste. Bravo, Avigdeuse ! Votre communication était superbe. N’est-ce pas, Quignon ? C’est Crudanet qui rageait ! Ah ! tout est prêt. — Ici un regard circulaire. — Nous sommes entre