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hydrate d’avigdine, le médicament merveilleux de notre cher Avigdeuse, ici présent. » Avigdeuse cligna de ses yeux ironiques et noirs et hocha la tête. Cloaquol prenait des notes pour son journal ; l’aide et Cudane s’empressaient autour de la machine. Les autres interrogeaient le patient, qui répondait d’une voix basse et étouffée : « Dites-moi, mon ami, demandait Canille avec hauteur, depuis combien de temps remarquiez-vous vos garde-robes glaireuses ? » Tismet de l’Ancre secouait les articulations soudées et murmurait, patelin : « Il n’y a pas de tubercules synoviaux. » Cercueillet, silencieux, tâtait le pouls par contenance professionnelle ; Gigade chantonnait : « On va lui glisser un tube, lui glisser un tube Hercule. » Quant à Bradilin, face triangulaire aux regards torves, il accaparait Quignon : « Pas si guérie que ça, votre présentation. Après l’Académie, nous lui enlèverons du muscle à l’emporte-pièce. » Boridan ajouta des explications confuses. Tous se moquaient de lui, qu’ils savaient vil, ignorant et menteur, fabricant de guérisons postiches. Lui admirait la bassesse de ses collègues, assez grande pour qu’aucun n’osât exprimer sa pensée.

La machine était prête. Tandis qu’elle fonctionnait, Quignon faisait précipitamment au numéro 7 quelques injections d’avigdine. Celles-ci, je l’appris depuis, avaient été laborieusement combinées entre Avigdeuse, Cloaquol, Boridan, le charlatan Wabanheim et son pharmacien Banarrita, pour faire concurrence à une admirable invention récente, grâce à laquelle un docteur étranger rendait la vie et la force aux désespérés. Les Morticoles se flattaient, par un tapage savant, d’atteindre un double but : combattre et ruiner dans l’opinion celui qu’ils considéraient comme un rival dangereux pour la science officielle ; créer une spécialité coûteuse qu’ils infligeraient aux riches après l’avoir essayée sur les pauvres.

Le squelette retrouvait un peu de vigueur pour gémir. Il étouffait. La sueur fétide trempait le col de sa chemise.